Abandon

Mécanique de l'abandon.

Grèce, juillet 2005. Au détour d'un sentier, je tombe nez à nez sur une carcasse de voiture, dans un coin de terre désert, posée ici comme au premier matin du monde. Je réalise presque sans y réfléchir quelques prises de vues. C'est une image graphique qui m'a fait sortir l'appareil photo : le bleu de la tôle se découpe sur le bleu de la Méditerranée. Juste une photo comme ça, qui se fera oublier dans le purgatoire de mon fonds photographique. Après ce premier cliché, un peu malgré moi, commence alors une chasse aux carcasses de voitures.
Jumelles à la main, je parcours la campagne. Je traque ces voitures naufragées, échouées à chaque fois dans des endroits totalement imprévisibles. Je suis alors dans une démarche que je ne m'explique pas, mais systématique : à ces lieux improbables, répond en miroir l'improbable boîtier russe de confection chinoise que j'utilise. Doté d'un viseur ingérable, ce Holga promet un cadrage à chaque fois aléatoire, comme sont aléatoires ces voitures perdues au monde.
C'est seulement au milieu de ce travail, au hasard d'une rencontre bouleversante, que je vais saisir le sens de ma démarche.
Passé les hauteurs d'un village, au détour d'un chemin isolé, je tombe nez à nez avec une vieille dame posée au milieu de nulle part. Au choc de la surprise mêlée d’espérance, que je lis dans son regard d'un bleu profond, répond le choc que je ressens à la vue de cette grand-mère seule, abandonnée par les hommes et à elle-même, comme ayant abdiqué. Je réalise que mon travail ne consiste en aucune manière à photographier des carcasses de voitures posées dans des lieux surréels, mais à rendre compte de l'abandon dans toutes ses nuances.
J'ai alors poursuivi ma quête de ces ruines mécaniques reposant dans leur espace de l'oubli. Ces lieux de sépulture occulte, connus des seuls anciens propriétaires des voitures, me semblaient réunir tous les éléments d'une sémantique totale de l'abandon.
Derrière ces grimaces de voitures abandonnées qui, en leur temps, avaient trimballé des fiancées, la famille, les amis, ce que je voyais, c'était une parabole infiniment moderne de la perte.
Un dernier mot sur ma démarche : je n'imagine pas que l'on puisse exposer ces clichés, tirés à grand format, autrement que disséminés (cachés ?).
J'aimerais qu'il arrive aux visiteurs ce qu'il m'est arrivé au cours de cette recherche. Un abandon qui se donne à voir crûment dans le choc d'une rencontre fortuite, impensable.

Photos réalisées à Kythnos, Milos, Serifos, Sikinos / Cyclades, Grèce.


The Mecanism of Abandon.

Greece, July 2005. A winding path led me to a deserted strip of land where my eyes fell upon a scrapheap of a car that seemed to have been there since the biginning of time. I took a few shots, barely thinking what I was doing. The graphic quality of the image had encouraged me to get my camera out : the blue of the sheet metal forming a step into the blue of the Mediterranean.
Yet another photo, no doubt destined to be forgotten in the purgatory of my photo collection.
After this first shot, taken a little despite myself, began my hunt for scrap cars. With binoculars around my neck, I scoured the country side, tracking down these wrecks that were invariably dumped in the most unlikely places.
Thus my approach became systematic without it ever having been an intention on my part : these unlikely places were a mirror image of the unlikely Russian body (made in china) that I use.
Equipped with an unmanageable viewfinder, the image centring given by my Holga is always unpredictable, as unpredictable as finding these cars in the middle of nowhere. It was only halfway through my work and thanks to a chance meeting of significant impact, that I understood the meaning of what I was doing.
Beyond the hills of a village and off the beaten track, I came face to face with an old lady, alone in the middle of nowhere. The shocked look in her deep blue eyes, filled with surprise and hope, founds its answer in the shock I felt seeing this grandmother figure, abandonned by mankind and left to her own devices, in a state of abdication as it were.
I then realized my work was no about photographing scrap cars dumped in surreal places but about developing the notion of abandon in all its nuances.
I continued my quest for mechanical ruins abandoned in forgotten spots. It seemed to me that all the semantics of abandon were united in these dumped cars that in their heyday had driven fiancées, family and friends around, I saw an infinitely modern parable about loss.
One last thing about my approach : I can't imagine these shots, printed in large format, being exhibited in any other way than spread out.
I would like visitors to experience what I experienced during my work. Abandon exposed in the natural and sometimes harsh light of fortuitous and unthinkable encounters.

Photos taken in à Kythnos, Milos, Serifos, Sikinos / Cyclade Islands, Greece.



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